Hangzhou, étape ultime du Grand Canal
Une rangée de bancs dans le bourg de Tangqi à Hangzhou (photo prise en 2016)
L'auteur nous entraîne à l'extrémité sud du Grand Canal, à la découverte de bourgs millénaires, de ponts en pierre, d'anciennes filatures et bien d'autres vestiges retraçant l'histoire de la population chinoise…
Voilà, je suis arrivé à Nanxun, un petit bourg relevant de la ville de Huzhou (Zhejiang), situé à la jonction des provinces du Jiangsu et du Zhejiang. Désormais, je suis relativement proche de Hangzhou, destination finale du Grand Canal et étape ultime de mon périple à vélo.
Un bourg millénaire
En 2014, le Grand Canal a fait son entrée sur la Liste du patrimoine mondial. La même année, la section de Nanxun a également été inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO en tant que site historique indépendant du canal du Sud du Yangtsé. Parmi les éléments qui ont gagné cette reconnaissance figurent l'ancien canal Ditang courant sur 1,6 km ainsi que le quartier historique et culturel du vieux bourg de Nanxun. L'ancien canal Ditang se qualifie à la fois comme étant une partie intégrante du bourg millénaire et une voie navigable majeure au reflet de la culture traditionnelle du canal.
Le bourg abrite encore nombre de résidences datant de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, qui combinent styles chinois et occidental. Se promener parmi ces constructions permet de découvrir des architectures provenant de multiples cultures. Ce petit bourg compte tout de même cinq édifices classés au patrimoine national. Les Cent pavillons, situés à l'est du bourg et longeant le canal sur un demi kilomètre, donnent un aperçu des paysages classiques du Sud du Yangtsé. Il arrive encore d'y voir les habitants pêcher ou laver leurs vêtements sur la rive du canal, comme le voulait l'usage il y a plus de trente ans. Il semblerait que l'industrie du tourisme n'a pas encore dénaturé cet endroit. Tant mieux, car Nanxun est à visiter à un rythme lent dans le cadre d'une quête et d'une expérience du passé.
À mi-chemin entre Jiaxing et Tongxiang, je suis entré dans un bourg antique appelé Puyuan. C'est un lieu charmant, mais ceux qui le peuplaient sont presque tous partis ailleurs. Il ne reste qu'un ou deux foyers. J'ai entendu dire que des entreprises songeaient à rénover et reconstruire le bourg pour en faire un nouveau site historique. Je ne comprends pas pourquoi les habitants qui demeuraient ici depuis des générations ont été invités à déménager. Sans âme qui vive, que reste-t-il d'un bourg antique ? Ce sont des questions auxquelles les urbanistes devraient réfléchir avant de lancer un projet.
Le lac du Sud à Jiaxing (photo prise en 1982)
Jiaxing, un canal vivant
Je poursuis mon trajet à vélo en direction de Jiaxing. S'étendant sur 110 km, la section de Jiaxing du Grand Canal englobe, du nord au sud, le canal Suzhoutang, la rivière cernant la ville de Jiaxing, le canal Hangzhoutang, le canal Chongchanggang et le cours d'eau Shangtang. Le réseau constitué de ces cours d'eau, toujours navigable, joue un rôle considérable dans le transport des hommes et des marchandises, la maîtrise des inondations, l'irrigation et l'approvisionnement en eau. Il s'agit donc aujourd'hui d'un patrimoine culturel vivant.
Sur le canal antique qui traverse la zone urbaine de Jiaxing était aménagée une célèbre écluse, Shanqing, remontant à l'époque des Qin et des Han (221 av. J.-C. – 220), selon les dires. C'était la première écluse enjambant le Grand Canal dans le Zhejiang. Presque deux milliers d'années se sont écoulées depuis, et l'écluse Shanqing n'a laissé aucune trace derrière elle. Pourtant, autour de son emplacement initial, nombre de sites historiques restent sur pied : le pavillon Luofan, la borne Fenshui, le pont Xiucheng, le pont Qiujing, etc. Lorsque l'on pédale le long du canal passant au travers de la zone urbaine, des paysages pittoresques s'offrent devant nos yeux. Partie de pêche dans la rivière près du pavillon Luofan ; à côté du pont Xiucheng, réunion autour d'un thé pour contempler la vue. Les passants vont et viennent dans la rue au bord du canal, tout comme ils s'entrecroisent sur le pont en pierre au loin. Près du parc Santa en bordure du canal, se dressent deux blocs hauts de plus de deux mètres qui servaient à haler les bateaux, l'un des rares vestiges témoignant du transport des céréales sur le Grand Canal.
Dans le village de Qiganxia, à 10 km de la zone urbaine de Jiaxing, se tient un pont soutenu par des piliers en pierre. On raconte qu'en 496 av. J.-C., une bataille entre le royaume Wu et le royaume Yue éclata en ces lieux. Finalement, le roi Goujian du royaume Yue vainquit le roi Fuchai du royaume Wu. Sous la dynastie Song (960-1279), ce pont fut construit et on le baptisa Guojieqiao, soit le « pont des frontières ». Pour protéger ce monument historique, une stèle fut érigée pour raconter son histoire et préciser l'interdiction d'emprunter le pont.
Le pont Gongchen à Hangzhou (photo prise en 1982)
Hangzhou, musée ouvert du canal
Je suis arrivé à vélo à Tangqi, un bourg relevant de Hangzhou et situé à seulement 20 km de la zone urbaine. Traversé par le Grand Canal, ce bourg bâti à l'époque des Song du Nord (960-1127) se classait jadis au palmarès des dix pôles commerciaux les plus prospères au Sud du Yangtsé.
Le décor a complètement changé aujourd'hui, mais le long pont Guangji, qui s'étire sur 78,7 m pour enjamber le Grand Canal, révèle encore sa splendeur d'antan. Il est désormais le seul pont antique encore debout sur les sept arches de pierre édifiées sur le Grand Canal.
Lors de ma dernière visite, outre le pont Guangji, j'avais été profondément impressionné par la galerie. Qu'il pleuve ou qu'il vente, les passants pouvaient y circuler sans contrainte. Et derrière cette galerie s'entassaient toutes sortes de boutiques au cœur du quotidien des gens d'ici : petits commerces, maisons du thé… Cependant, je n'ai pas retrouvé cette galerie cette fois-ci, mais une similaire, présentant elle aussi un style singulier, a été aménagée à proximité de la rive. À cause de l'afflux des touristes, les rues des deux côtés du canal sont particulièrement animées. Juste derrière se regroupent des quartiers résidentiels que je vous conseille d'explorer pour ressentir l'atmosphère de la vie des locaux.
Sur la rive nord du canal se dresse une stèle haute de 5,4 m portant des inscriptions écrites par l'empereur Qianlong (1711-1799), qui a été érigée à l'occasion de sa première tournée. Elle serait soi-disant la plus grande stèle calligraphiée par un empereur en Chine.
Après avoir quitté le bourg de Tangqi, j'ai conduit une heure avant d'arriver au pont Gongchen, emblématique de l'extrême sud du Grand Canal.
Dans l'Antiquité, chen signifiait le lieu de résidence de l'empereur ; gong indiquait le geste effectué pour saluer l'empereur. Le nom du pont pourrait donc se traduire par « accueillir l'empereur lors de sa tournée dans le Sud ».
Mon compagnon Shen Xingda et moi-même avions atterri ici pour la première fois le 25 décembre 1982, clôturant ainsi notre voyage à vélo réussi le long du Grand Canal. À cette époque, cet endroit comptait encore parmi la banlieue de Hangzhou, bien qu'il fût le berceau des industries nationales de Hangzhou. Aux environs étaient disséminées bon nombre d'usines : l'Usine textile de lin du Zhejiang, l'Usine d'impression et de teinture des soies, la Première Usine textile du coton, l'Usine de papier Huafeng… Debout sur le pont Gongchen, nous ne voyions que des ouvriers des usines aux alentours empruntaient cet ouvrage pour passer sur l'autre rive.
À ce jour, sur la rive est du pont Gongchen se trouvent la place culturelle du canal et le musée du Grand Canal. Sur la rive ouest repose le quartier historique réaménagé. Prédécesseur de la Première Usine textile de coton, le site de la Filature de coton Tongyigong a également été conservé en tant que témoin de l'histoire. Il a été reconverti en musée présentant les éventails de Hangzhou ainsi que leurs techniques de fabrication.
Après le pont Gongchen, le Grand Canal contourne la zone urbaine de Hangzhou avant de rejoindre la rivière Qiantang au niveau de l'écluse sous la pagode des Six Harmonies. À côté de l'écluse a été aménagé un parc d'où jaillit une pagode de neuf étages datant de la période des Cinq Dynasties (907-960). Autrefois, ce lieu était une gare, c'est pourquoi l'on peut y observer encore des rails et un train. À ce moment-là, j'aperçois des jeunes mariés venus prendre leurs photos de mariage dans ce joli cadre. Sous la bruine, les herbes et les fleurs affichent des couleurs plus éclatantes. La saleté et le désordre qui régnaient en ce lieu il y a plus de 30 ans sont définitivement des choses du passé.
J'ai photographié deux fois le Grand Canal lors de mes excursions à vélo, en laissant 35 ans d'intervalle entre les clichés, idéal pour constater les mutations connues par le Grand Canal. Dans 35 ans, quel sera son nouveau visage ? Je suis certain que d'autres photographes seront là pour répondre à cette question…